Calendrier de l’avent jour 11 !

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Et voici pour le 11 ème jour une nouvelle que j’avais commencé pour un concours, mais pas finie à temps, puis continuée pour un autre, mais pas fini à temps non plus… Bref, la troisième fois et la bonne ! (par contre, je voulais encore la relire avant de la poster, mais j’ai été un peu débordée, j’espère que vous ne m’en voudrez pas s’il y a des coquilles.)

Et comme c’est « un peu » long, je vous la met en deux parties 😉 Bonne lecture !

 

Iceberg

 

Elle était sur le point de vaincre le Maître. Ses pouvoirs brulaient ses mains tant elle dépassait ses propres limites. Encore quelques efforts et elle réussirait. Il ne fallait surtout pas qu’elle se déconcentre, la moindre inattention pourrait lui être fatale. Māsatara et elle se trouvaient dans la même impasse, à la différence près que la sorcière avait bien plus de rage au combat que son adversaire. Bientôt, il en serait fini de la suffisance du Maître. Ce titre, c’était à elle qu’il revenait. Elle avait travaillé dur, subit les moqueries des hommes, persuadés qu’une femme ne pourrait jamais les égaler et pour quoi ? Se faire doubler ? Elle était la seule à avoir dû prouver sa valeur avant même de devenir apprenti. Et la voilà qui devait le faire encore, face au monde entier, sous prétexte qu’elle n’était pas Maître. Dans quelques instant, elle serait, elle en était certaine, la seule survivante de cette bataille et le monde n’aurait plus qu’à l’acclamer.

Alors qu’elle jubilait en voyant son ennemie reculer d’un pas de plus, la sorcière Daina ressentit une vive douleur au mollet qui la fit hurler. Son esprit s’ouvrit à nouveau à ce qui l’entourait et elle vit tout d’abord un chien. Un simple petit bâtard qui aboyait et montrait les crocs. Derrière lui, elle aperçut également un enfant qui encourageait l’animal. Ce fut sa dernière vision. Les limbes remplacèrent ces viles créatures. Le Maître n’avait pas hésité une seconde à agir.

Tous ces efforts, pour rien…

XXX

                Māsatara regardait la fumée astrale avec intérêt. Elle avait fini ses incantations et attendait une réponse de la part du Śagana, une sorte de tarot magique. Un symbole commença à se dessiner. Graduellement, elle vit apparaître un cercle coupé d’une ligne horizontale. Au-dessus se forma un croissant de lune. Le Maître tressaillit : Le crépuscule. Le moment était donc venu. Elle souffla lentement.

                — Tout va bien, Maître ? demanda Bacē en s’introduisant dans la pièce, suivit de son fidèle chien.

Māsatara brouilla les fumeroles d’un geste de la main et se retourna vers son jeune élève avec un sourire serein.

                — Parfaitement, répondit-elle avant de le quitter.

Elle devait se préparer.

Resté seul, Bacē caressa la tête de son compagnon à quatre pattes. Tout cela lui paraissait suspect. Il avait vu le symbole Śagana qui était apparu et il l’avait parfaitement reconnu.  S’il n’était pas encore capable d’interpréter les signes en détails, il savait ce que celui-là signifiait. Le crépuscule représentait la fin. Mais la fin de quoi ?

XXX

Mika n’en avait pas cru ses yeux lorsqu’il avait vu ses cibles venir tout droit sur son bateau. Il n’avait même pas eu à quitter son travail pour les retrouver le premier. Il avait suivi le Maître Māsatara et son apprenti jusque dans leur cabine, s’arrangeant pour faire partit du personnel qui devait les aider à embarquer. Il se tenait désormais à leur service, près à courir au moindre de leur ordre, en apparence au moins.

Il haïssait les occidentaux, à le prendre pour un moins que rien. Il était fier d’être hindou et en avait assez de baisser les yeux devant eux. Māsatara ne lui avait même pas adressé un seul regard et il doutât même qu’elle ait remarqué sa présence. Quant à l’enfant, il était trop prit par le paysage au hublot pour se soucier de quoi que ce soit d’autre.

Mika observa alors le chien. C’est lui qu’il fallait éliminer en premier, selon les ordres. Inutile de s’en prendre au Maître, il ne serait pas de taille. La sale bête venait de se coucher en lui tournant le dos. Même lui l’ignorait. Valait-il donc moins qu’un chien ? Quand l’animal serait mort, il n’aurait plus à se poser ce genre de questions. L’hindou utilisa ses pouvoirs pour faire apparaître un couteau Khanjar à la lame recourbée. Cette arme de son pays laverait son honneur. Il le cacha dans son dos le temps d’approcher discrètement du bâtard endormit. Très vite, il était à ses pieds. Mika examina une dernière fois la pièce afin de vérifier que personne ne s’occupait de lui. Comme il s’en doutait, Bacē continuait d’admirer la vue et le Maître était absorbé par un livre.

L’hindou tenait son Khanjar si fort que ses phalanges blanchirent, il ne fallait pas qu’il le rate. Le moment était idéal. Il brandit donc le couteau et se jeta sur le chien. Son mouvement s’arrêta en plein élan et il se retrouva suspendu en l’air. Māsatara leva alors les yeux sur lui.

                — Tu en as mis du temps à te décider. Tu croyais vraiment qu’un Maître pouvait être aussi peu vigilant ?

                — Pourquoi ne m’avez-vous pas arrêté avant si vous connaissiez réellement mes intentions ? cracha Mika avec colère.

                — J’attendais de voir si tu allais mettre ton plan à exécution. Je t’avoue que je suis impressionnée par ton courage, mais tu as encore bien des choses à apprendre. Viens.

À la suite de son ordre, le corps de Mika se mit à bouger bien malgré lui. Elle le fit flotter puis atterrir près de son bureau. Une fois à terre, il se retrouva à nouveau figé malgré ses tentatives d’évasion.

                — Quand la sorcière Daina a-t-elle reparut ? interrogea le Maître.

                — Daina ? Vous voulez dire qu’elle aurait réussi à sortir des limbes en moins d’un an ? s’exclama Bacē qui avait repéré Mika depuis longtemps également.

Māsatara acquiesça.

                — Elle est plus puissante que vous ne semblez le croire. D’autres que moi sont à votre recherche, vous ne vous en sortirez pas cette fois !

Le Maître le remercia pour cette information cruciale et lança un sort qui bloqua chaque porte et chaque fenêtre, autant physiquement que magiquement. La pièce était désormais hermétique à toute sorcellerie en dehors de celle de Māsatara elle-même.

                — Bon, soupira-t-elle. Qu’importe depuis combien de temps, ça ne change pas grand-chose. Dis-moi plutôt ce qu’elle t’a promis en échange de ton obéissance ? L’amour, la richesse, une vengeance peut-être ?

                — Allez-vous faire voir, avec votre arrogance d’occidentale !

                — Une vengeance donc… Ta colère est probablement légitime, mais elle est tournée vers les mauvaises personnes. Je suppose que si tu exécutes ses ennemis, elle s’occupera des tiens ? En soi, je ne nie pas qu’elle en soit capable, mais encore faut-il qu’elle ait envie de se donner cette peine.

                — Vous prétendez qu’elle ne tiendra pas sa promesse ?

                — Avoues que c’est prévisible.

                — Au moins autant que vous, admit Mika qui s’était toujours méfié de la sorcière à ce sujet. Maintenant vous allez me dire que si je me retourne contre elle, vous tiendrez cette promesse à sa place ?

Le Maître afficha une mine faussement choquée.

                — Je ne suis pas une tueuse à gage et je ne te demanderais jamais d’affronter Daina, ce serait t’envoyer à une mort certaine. Tout ce que je peux promettre, c’est de faire de mon mieux pour te protéger.

                — Je n’ai pas besoin qu’on me défende contre la sorcière…

                — Contre toi-même, l’interrompit Māsatara.

Voyant l’air étonné de son interlocuteur, elle esquissa un léger sourire. Evidemment, il ne savait pas, aucune victime de la sorcière ne connaissait ce détail.

                — Quand Daina parle avec ses pensées aux êtres magiques, seuls les esprits les plus affaiblit l’entendent. Je ne dis pas que tu es simple d’esprit, loin de là, ce n’est pas une question d’intelligence. Ce qui rend l’esprit malléable, ce sont des sentiments tels que la colère ou la rancune par exemple. Des sentiments qu’elle côtoie chaque jour, tout comme toi. Le seul moyen d’échapper à cette emprise, c’est de te débarrasser de tes ressentiments. C’est en cela que je peux t’aider.

                — Je n’ai pas besoin de vous. Et de toute façon, vous feriez ça comment ? Un peu de méditation peut-être ? ironisa Mika.

                — Je commencerai par ça…

Le Maître tendit alors un doigt vers le front du jeune homme et, du bout de l’ongle, parvint à en extraire quelque chose. Mika vit apparaitre, entre ses deux yeux, une masse noire difforme. Quand Māsatara l’éloigna suffisamment de lui, il remarqua qu’elle semblait visqueuse comme de l’encre. Il n’avait rien sentit au moment de l’extraction, pourtant il se sentait différent. Le Maître secoua le doigt pour se débarrasser de cette chose gluante et le laissa tomber sur son bureau. Après l’avoir observé un instant, elle y mit le feu. Elle ordonna à la masse noire de brûler, et celle-ci obéit.

                — Qu’est-ce que c’était ? paniqua Mika.

                — Un petit « cadeau » de la part de la sorcière. Une sorte de parasite qui empêche de réfléchir. Comment te sens-tu, maintenant ?

Mais le jeune homme resta muet, le regard perdu. Il se sentait complètement vide, et elle le savait. Māsatara lui expliqua alors comment Daina l’avait manipulé. Il suffisait de mettre des œillères à l’esprit pour qu’il ne se focalise que sur une chose, la colère. Il devenait alors incapable de réflexion ou d’évolution et se consumait dans sa propre rage de plus en plus incontrôlable. La sorcière n’avait pas l’intention d’aider Mika ou d’autres comme lui, mais plutôt de s’en servir jusqu’à ce qu’ils deviennent inutile. Le jeune homme compris vite que la chose noire dans sa tête avait aussi caché sa peur, car il était à présent terrifié à l’idée de mourir. Que ce soit de la main de la sorcière parce qu’il aurait échoué, ou de la main du Maître pour le punir, il savait que d’un côté comme de l’autre, il le méritait.

Après un long discours sur les méfaits de la sorcière, Māsatara laissa Mika libre de ses mouvements. Il vit de l’inquiétude dans les yeux de l’enfant, surprit par la décision de son Maître. Son corps lui paraissait si lourd qu’il tomba à genoux. Le chien vint alors à sa hauteur et renifla son visage. Mika se rendit compte de ce qu’il allait faire. Quand il voulut caresser l’animal, il vit toujours dans sa main le couteau Khanjar. Il avait les doigts crispés dessus. Comment avait-il put penser à tuer cette pauvre bête ? Il se faisait que protéger son petit Maître.

Mika releva la tête quand il se rappela l’offrande de la sorcière. Une larme coula le long de sa joue.

                — Pardonnez-moi, balbutia-t-il. Je l’ai mené à vous…

Māsatara releva un sourcil. Il ne pouvait parler que d’une chose.

                — Bacē, ouvre une fenêtre, ordonna-t-elle.

L’enfant s’exécuta sans poser de questions, il lui faisait aveuglément confiance. Un tentacule blanchâtre sortit du long manteau de Mika ou elle se cachait jusque-là et se jeta avec rage sur le Maître. Mais Māsatara fit un geste brusque et la créature fut balayée directement par la fenêtre que Bacē referma instinctivement.

                — Maître ! Je croyais que vos sorts empêchaient toute magie extérieure, s’étonna l’enfant, or la sorcière…

                — Elle est si puissante, geignit Mika.

Māsatara leva une main pour les faire taire.

                — Il ne s’agit aucunement de magie. Les tentacules de Daina sont des êtres à part entière, pourvu d’une volonté propre. Elle peut manipuler leur esprit particulièrement malléable, mais rien de plus. Elle ne peut pas nous atteindre ici, et elle n’est pas si puissante que cela.

                — Vous pouvez vraiment la vaincre ? s’enquit Mika avec espoir.

                — Je ne vis que pour ça…

Le jeune homme s’inclina jusqu’à terre et supplia :

                — Alors je veux vous aider, je vous en prie laissez-moi une chance.

Māsatara le toisa. Le changement de comportement de l’hindou était presque trop grand. Où Daina avait-elle déniché la haine à l’intérieur de lui ? Elle devait s’assurer qu’il ne jouait pas la comédie.

                — Lèves-toi, donnes-moi ton Khanjar, exigea le Maître en tendant la main.

                — Vous connaissez ? s’intéressa alors Mika, étonné par les connaissances de l’occidentale.

                — Comment pourrais-je ignorer cela ? Je suis née en Inde, j’ai grandis et ai été élevée par des hindous. Je n’ai connu que ce pays, jusqu’à ce qu’on me dise, à l’adolescence, qu’en réalité j’étais anglaise. J’ai voulu voyager, voir mon pays, puisque c’était le mien, mais je ne m’y suis pas sentie chez moi. Je n’étais qu’une étrangère. Alors je suis revenue. Maintenant, fais ce que je te dis. Viens !

Mika obéit après un instant d’hésitation dut à la surprise. Il s’appuya de sa main valide sur son genou pour se relever. Une fois sur ses deux jambes flageolantes, il fit un pas en avant et déposa son arme, manche en avant, dans la paume de Māsatara. Elle le prit et lui demanda d’approcher. Le jeune homme avait peur, surtout à cause du silence de l’enfant. Il restait immobile à les regarder. Savait-il ce qui allait se passer ?

Le Maître prit fermement la main de Mika et la plaça devant elle, paume vers le haut. Elle pressa la lame parfaitement aiguisée contre la peau du jeune homme et commença à y tracer un dessin. Mika n’osa pas retirer son bras de son emprise. Qui savait ce qu’elle pouvait faire de pire s’il résistait ? Le symbole prit doucement forme. Était-ce une malédiction ? Elle avait d’abord esquissé un petit tourbillon qu’elle avait prolongé vers le bas pour l’accrocher à un second, beaucoup plus gros. Cela prenait la forme d’un « S » déformé. Elle termina en barrant de symbole d’une ligne droite séparant les deux volutes.

                — Voilà, tu fais partit des nôtres désormais. Tu sais pourquoi je peux la vaincre ? Parce que je ne suis que la partie émergée de l’iceberg, celle qu’on voit. Toi, Bacē et même Kutē, vous êtes tout le reste, ce qui est invisible mais qui fait le plus de dégâts. Je peux la vaincre parce que je ne suis pas seule.

                — Mais… la sorcière n’est pas seule. Elle n’a pas recruté que moi. Il y en a un autre…

Māsatara secoua la tête sans lâcher du regard sa nouvelle recrue.

                — Juste une mouette qui pense avoir trouvé une terre. Le lien que je tisse est plus fort qu’une simple attirance instinctive. Regarde !

Elle posa sa paume contre celle du jeune homme, pleine de plaies et resserra ses doigts. Le contact augmenta la douleur de Mika et sa peau le brûla comme si elle avait versé de l’alcool sur ses blessures. Quand elle le lâcha enfin, il ne sentait plus rien. Il observa sa main avec curiosité mais n’y vit plus aucune trace du dessin.

Le Maître esquissa un demi-sourire, puis attrapa un cendrier qui n’avait pas été nettoyé lors du dernier voyage. Elle en vida le contenu sur la paume du jeune homme et frotta afin d’en enlever le surplus. Les cendres laissaient une trace, sauf en quelques endroits précis. La peau resta immaculée là où le symbole avait été dessiné, le faisant réapparaitre. L’enfant fit de même sur lui puis montra qu’il avait lui aussi ce symbole sur la main.

                — Vous êtes sure de vous, Maître ? demanda Bacē.

                — Parfaitement, sourit Māsatara avant de tourner les talons pour se rasseoir devant le bureau. Nous allons maintenant remonter le fleuve jusqu’à sa source, il faudra sans doute marcher un peu…

Mika se mit  réfléchir à toute vitesse.

                — Vous voulez dire… l’Himalaya ?

                — Oui. Daina adore les hautes montagnes et la neige. Ses tentacules albinos s’y cachent très bien. D’autres questions ?

                — À vrai dire… oui, bredouilla le jeune homme en se triturant les mains. Qui est Kutē ?

                — Mon chien, répondit l’enfant en haussant les épaules.

XXX

La suite au prochain épisode ! 

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